« Ne détestez pas les médias, devenez les médias. » Ce bon mot de Jello Biafra, ex-chanteur du groupe punk Dead Kennedys, a servi de bannière aux sites d’information Indymedia, qui fleurirent à travers le monde après les manifestations de Seattle en 1999. Utilisant le développement d’Internet à bon escient, ces plateformes de publication ouvertes à tou.te.s envoyaient une belle claque aux spécialistes autoproclamés de la presse. Désormais, nul besoin désormais d’appartenir au cénacle des journalistes adoubés par le pouvoir et l’argent pour poster en ligne infos, témoignages ou tribunes…
Seul hic : le manque de modération. Chacun.e pouvait certes poster une info en ligne, mais bien souvent, elle était lacunaire, non vérifiée ou mal trempée dans l’encre. D’où le positionnement un poil différent adopté par le site d’information Rebellyon (rebelle et lyonnais, tu l’auras deviné), lancé en 2004.
Lui décidait de resserrer un peu les règles de modération, tout en laissant le post ouvert à tout.e.s et privilégiant l’info locale. Pour le faire vivre, un collectif soudé de personnes s’entraidant pour se former aux pratiques du journalisme indépendant, autant que soucieuses de préserver l’esprit amateur des Indymedias [1]. Au fil des ans, ce modèle n’allait pas tarder à se répliquer, telles d’avides amibes nageant dans le grand capital.
Une matrice de site web facilement réappropriable, ainsi que l’énergie émanant de collectifs locaux a permis à une quinzaine de sites « Mutu » francophones de voir le jour entre 2013 et aujourd’hui. « Mutu » ? « Le réseau s’est constitué autour du projet de “mutualiser” des expériences, des outils et des compétences pour aider d’autres villes à monter et renforcer le site qu’elles voulaient. Il s’agit de permettre aux militant·e·s, et plus largement aux habitant·e·s d’un territoire, de se doter d’un outil commun. Celui-ci appartient à toutes les personnes qui se retrouvent localement dans les idées anti-autoritaires. Et qui partagent l’ambition d’une diffusion large des différentes activités politiques, comme de tout ce que le quotidien peut donner à penser », résument quelques-unes des personnes investies.
Iaata (Toulouse), Paris-luttes, La Rotative (Tours), Mars Infos (Marseille), Expansive (Rennes), Renversé (Suisse romande), etc. Chaque site conserve son indépendance et son fonctionnement propre, organisé autour d’un collectif d’animation. Mais tous se retrouvent régulièrement en chair et en plumes pour échanger pratiques et savoir-faire, infos et bons tuyaux. Plus concrètement, une charte en sept points précise l’esprit du réseau : les idées anti-autoritaires, la publication participative, l’aide à la publication, la volonté de diffusion large, l’ouverture et l’ancrage local, l’entraide entre sites. Ce beau mélange est un peu à la presse ce que le molotov est au cocktail, une explosion d’infos utiles, engagées et rafraîchissantes. Une manière pour celles et ceux qui font vivre les sites Mutu de nourrir la lutte sans la quitter des yeux, en opposition directe avec les géants de la com’ tels Facebook ou Twitter : « Face à l’hégémonie croissante des multinationales de la communication numérique, des réseaux sociaux imposés, expliquent-ils, on construit un peu des ZAD numériques locales. »
Tous les sites ne connaissent pas le même succès, bien sûr. Là où Paris-Luttes affiche un million de visites mensuelles et Rebellyon 250 000, les sites plus récents plafonnent plutôt à quelques dizaines de milliers de visiteurs. Mais qu’importe, ils écument pareillement leur territoire pour rapporter des reportages, agencer un agenda des luttes et des événements culturels, mettre à jour leurs actus en temps réel pendant les mouvements sociaux...
Face aux enjeux de chapelles militantes, la modération collective sert de garde-fou. Pas question que les joutes anarchos/cocos, trostkos/totos ou prolos/bobos prennent le pas sur l’information. Et chacun.e peut trouver sa place, pour peu d’accepter le principe de relecture, de vérification et de correction des textes : « La modération fonctionne de manière horizontale et participative, détaillent les artisan·e·s Mutu interrogé·e·s.
Chaque collectif fixe d’ailleurs ses propres règles. On s’assure juste que les articles proposés respectent bien l’esprit du réseau. À savoir : promouvoir l’émancipation par la concordance des luttes, en donnant à voir les combats en cours, les réflexions en tension, etc. La modération a aussi pour rôle d’aider celles et ceux qui sont moins à l’aise avec l’écriture, la forme des articles ou les astuces techniques de mise en page. »
Tu l’auras compris, lecteur, lectrice de CQFD : les sites Mutu t’attendent. Pour les lire, mais surtout pour y écrire. Pas besoin d’avoir tagué les bancs de Sciences-Po, ni d’une triste école de journalisme. Il te suffit de vivre en phase avec ta ville et d’envoyer des infos sur ta rue, ton quartier, ton collectif. Avant – qui sait ? – de créer avec tes ami.e.s ton propre site Mutu ! Rien d’insurmontable : « Pour rejoindre le réseau, il faut avant tout ne pas être seul.e. Sans diversité au sein du collectif de publication, impossible de rendre compte d’un réel le plus large possible. Et puis, animer un site demande un travail d’une ampleur et d’une rigueur considérable. Une fois cette condition remplie, il suffit de contacter le réseau : des personnes sont chargées de suivre la mise en place du site en livrant des astuces, des pistes de réflexion, des coups de main... »
« Devenir un média », c’est donc un chouia plus difficile que d’ouvrir un compte Facebook. Mais grâce aux sites Mutu, c’est quand même plus simple que de se lancer dans une aventure papier comme celle du Chien rouge. À bon aboyeur, salut.
Ferdinand Cazalis
Pour avoir une vue d’ensemble des sites mutu : https://mutu.mediaslibres.org