Sur It’s Going Down, nous parlons beaucoup de stratégie. De la manière de renforcer nos capacités d’actions, de comment grossir en tant que force matérielle au sein de nos communautés. Il y a un aspect dont nous avons peu parlé : le besoin que davantage de gens montent des médias alternatifs et de contre-information là où ils vivent. Comme nos amis le signalaient dans Puget Sound Anarchists, une plateforme en expansion pour les anarchistes du Pacifique Nord-Ouest, si la croissance de médias comme IGD est importante, il revient aussi aux gens, à une échelle locale, de construire leur propre média régional et autonome ; cela permet de décentraliser à la fois comment nous obtenons nos informations et qui les relaient.
Comme d’autres l’ont écrit, notre rêve serait que des projets de médias autonomes prolifèrent et se développent, qui puissent alimenter It’s Going Down mais aussi croître séparément.
Par ailleurs, ainsi que nos ami-e-s de Crimethinc l’ont montré, une part importante du renforcement de nos luttes et de notre force ne relève pas seulement des tactiques et des stratégies que nous déployons dans les rues et dans nos communautés, mais aussi de la façon dont nous diffusons nos récits, nos idées, nos visions et nos arguments dans les luttes, au fur et à mesure qu’elles ont lieu. Ne pas le faire, c’est laisser la place aux libéraux, aux réformistes et aux opportunistes qui n’hésiteront pas à nous balayer, à nous attaquer, et à nous balancer.
La réalité cruelle, c’est que nos ennemis d’extrême droite ont pris une énorme avance sur nous en terme d’utilisation de plateformes de médias, qu’il s’agisse de l’usage de Twitter, des livestreams ou de chaînes Youtube. Par exemple, alors qu’IGD a reçu 700 000 visiteurs uniques en avril, un nouveau record pour nous, ce chiffre est ridicule par rapport aux millions de visiteurs du Daily Stormer, l’un des sites de référence des néo-nazis, sans même parler d’un site comme Infowars.
L’une des raisons pour lesquelles les médias de l’extrême droite et de « l’alt-right » prennent de l’ampleur, c’est que pour chaque événement, ils multiplient les publications pour mettre en valeur leurs idées dans la discussion, et poussent ainsi le cadre du débat de plus en plus à droite. Succintement, l’un des éléments de leur stratégie médiatique consiste à construire une capacité d’intervention importante au sein du débat public ; et même s’ils publient régulièrement des « fake news », des informations bidons et des provocations racistes pour arriver à leurs fins, cela fonctionne plutôt bien.
En résumé, nous avons besoin que davantage de personnes créent de l’information, et de tous les genres. Nous avons besoin de gens faisant des vidéos anarchistes de santé et de fitness, des points de vue personnels sur les événements en cours, davantage d’analyses et de reportages, et plus de podcats. Mais surtout, nous avons besoin de productions dont l’objectif est d’influencer à la fois la manière de raconter les choses qui impactent nos vies et le débat lui-même ; des productions qui cherchent à établir une discussion avec la population la plus large possible, et pas simplement un petit milieu isolé.
Pour être clair, il ne s’agit pas simplement d’appeler les gens qui se battent dans les rues ou organisent des mouvements à se transformer en producteurs d’informations. Il s’agit plutôt d’affirmer que la création de médias doit devenir une partie intégrante de nos stratégies d’organisation quand nous nous lançons dans la lutte, au même titre que l’organisation face à la répression ou le soutien aux prisonniers.
Ce que beaucoup ne comprennent pas
L’une des premières erreurs que font les gens, c’est que leurs échanges avec le public ne contiennent souvent quasiment aucune information sur ce que fait leur groupe, son objet et ce qu’il a réalisé. Les réseaux sociaux sont plein de comptes d’anarchistes, de syndicalistes révolutionnaires, d’antifascistes et d’autres groupes qui se contentent de partager des liens. Or, si nous devons avoir une présence en ligne, c’est pour impliquer les gens dans le travail d’organisation que nous menons. Ça ne signifie pas qu’il ne faut pas partager d’articles, mais si nos espaces d’organisation en ligne se contentent de publier des liens, alors ils vont se résumer à ça. Nous devons améliorer notre capacité à montrer ce que nous faisons, les événements que nous organisons, et les contenus originaux que nous créons.
Cela nous amène à une deuxième erreur récurrente : la plupart du temps, les gens n’écrivent pas sur toutes les actions trop cools qu’ils mènent ! Et on le comprend, parce qu’écrire peut être extrêmement chronophage, et pour certain·es, intimidant. On doit d’abord se rappeler qu’il n’y a pas besoin d’être le meilleur auteur au monde pour écrire quelque chose d’intelligent. Et qu’il est très important que le monde sache ce que vous et votre groupe faites. Pour faire court, cela nous permet de savoir que nous ne sommes pas seuls, ça donne de nouvelles idées, ça nous inspire. Mais si tu ne crées pas ce média, si tu ne prends pas 30 minutes pour rendre compte de ton action, pour mener une réflexion, pour monter une vidéo, ça n’aura pas ces effets.
Par ailleurs, beaucoup de groupes ne parviennent pas à publier leurs récits dans des délais assez rapides. En tant qu’anarchistes, nous sommes en première ligne des émeutes, des grèves, des occupations et des luttes partout dans le monde. Cela signifie que nous sommes souvent au cœur de situations que la plupart des journalistes n’observent que de l’extérieur. Cela signifie aussi que nous sommes en position de rapporter certains des témoignages les plus vibrants et excitants possibles. Mais si nous ne nous appliquons pas à publier cette histoire dans un délai pertinent, l’impact massif qu’auraient pu avoir avoir notre analyse et nos idées sur les événements en cours risque d’être rapidement amoindri.
Un autre point qui doit être martelé, c’est qu’il ne suffit pas de publier quelque chose sur Internet pour que cette chose se réalise dans la vraie vie. A IGD, nous voyons souvent (surtout dans le cas de nouveaux groupes ou collectifs) des gens publier des appels pour des actions ou des événements, pensant qu’il suffit que l’appel soit en ligne pour que du monde se pointe. Ce n’est pas si facile. Informer les gens que quelque chose se passe n’est qu’un aspect de la bataille : il faut aussi travailler et s’organiser de manière à ce que les gens viennent aux événements et aux actions. Il faut aussi prendre en compte qu’une fois l’information publiée, la police et l’extrême-droite sont alertées. Les réseaux sociaux et internet sont des outils, et de bons outils, mais il ne faut pas s’imaginer qu’un post a des effets magiques. Une fois de plus, cela doit s’inscrire dans une stratégie sur comment nous mettons en avant et organisons nos actions.
Enfin, nous devons travailler à ce que nos médias soient les plus beaux possible. Si vous n’avez pas les compétences, les connaissances, ou accès à Photoshop, demandez à un·e ami·e, ou trouvez des ressources gratuites en ligne. Gagner la guerre médiatique implique notamment de mettre de l’amour et de soigner les détails dans notre travail.
Développer une stratégie médiatique pour nos mouvements
Quand nous nous organisons, lançons une campagne, démarrons un projet, ou partons mener une action, nous tenons compte de beaucoup de choses. Rencontres, création d’une legal team et d’une équipe médic, nous essayons de tout anticiper. Mais la question des médias est souvent la dernière sur la liste. Plutôt que de compter sur les médias mainstreams et les journalistes « libéraux » pour qu’ils racontent notre histoire, nous voulons construire notre capacité à parler par nous-mêmes. Si It’s Going Down est une ressource, sans personne sur le terrain nous n’aurions rien à publier. Alors à quoi pourrait ressembler une stratégie médiatique ?
Premièrement, nous devons construire des plateformes locales pour atteindre les gens. Cela suppose de créer des comptes sur Twitter et Facebook, et des sites mis à jour régulièrement.
Deuxièmement, nous devons rendre compte et discuter de nos actions et de nos efforts d’organisation, et échanger sur ce qui mène à conduire ces actions.
Troisièmement, cela veut dire que nous devons lancer nos actions, nos campagnes et nos luttes en ayant réfléchi à comment les gens pourront s’informer sur ce qu’il se passe. Est-ce que certain·es feront un livestream, une vidéo, des tweets, des mises à jour régulières ? Comment protéger les personnes qui ne veulent pas être filmées ? Qui peut écrire quelque chose avant ou après ? Comment utiliser les médias pour repousser les attaques des médias dominants et de l’extrême-droite ?
Enfin, nous devons travailler à contextualiser nos actions, et promouvoir nos visions auprès du grand public. Cela suppose de créer des médias qui peuvent relayer nos arguments au public le plus large possible.
Ne pas avoir peur de se lancer
L’un des aspects les plus intéressants d’un projet comme It’s Going Down, c’est qu’il donne à voir la grande diversité d’actions et de projets menés sur le territoire de ce qu’on appelle l’Amérique du Nord. L’organisation des travailleurs, la construction d’infrastructures, la lutte contre les oléoducs et l’écocide, le soutien aux prisonnier-ère-s, la résistance aux expulsions, la lutte antifasciste... Voir tant de gens faire tant de choses est inspirant. Plus nous créons une culture de création de médias autonomes et d’amplification de nos voix, plus les gens feront attention à ce que nous avons à dire et rejoindront la discussion.
Quelques idées pour démarrer :
- Créez un site de contre-information. Vous ne savez pas trop comment mettre au point un site web ? Blackblogs constitue un bon point de départ.
- Créez des comptes sur les réseaux sociaux pour votre groupe. Informez les gens de ce que vous faites et des événéments à venir.
- Produisez une forme de revue, d’émission vidéo, de podcast, pour aller plus loin dans l’analyse et l’expression d’idées.
- Réalisez des comptes rendus des actions et campagnes menées, et travaillez à écrire des analyses et des critiques sur la situation nationale et locale.
- Mettez-vous en lien avec d’autres groupes au niveau local et régional. Développez votre capacité à vous unir pour amplifier l’écho du média que vous créez.
Comme le disait une vieille expression d’Indymedia — Faites un média, foutez le bordel !